On peut utiliser l'expression dans un sens double tant nous avons été gâtés par un temps estival en ce début d'automne.
Notre but initial était de visiter l'exposition "Pierre le Grand, un tsar en France. 1717".
De fait nous sommes restés dans le "Domaine de Trianon". En premier lieu ce fut le Petit Trianon, construit pour Louis XV pour abriter ses amours avec Madame de Pompadour, mais en réalité c'est la reine Marie-Antoinette, épouse de Louis XVI, qui fit de l'ensemble son domaine. Elle, fille de l'impératrice allemande Marie-Thérèse de Habsbourg, supportait très mal l'étiquette de la Cour de France, elle a voulu recréer là un "Petit Vienne". Elle s'y retirait pour des séjours prolongés avec ses amies, ses relations les plus proches. Après les salons, l'escalier d'apparat, nos pas nous ont conduit autour du Petit Trianon, vers le Temple d'Amour, l'une de ces "fabriques" chères au XVIII siècle comme les jardins à l'anglaise recréant la nature. On peut voir, plus près de chez nous plusieurs de ces fabriques dans le parc du château de Canon.
Bien sûr dans le groupe nous souhaitions parcourir ensuite le "Hameau de la Reine", lequel rassemble de nos jours une dizaine de constructions, formant un petit village fin XVIIIe, avec ses potagers, ses treilles flamboyantes en ce moment, la Maison de la Reine (actuellement en restauration), le boudoir, le moulin, la tour de la pêcherie ou Malborough (une chanson pour se moquer des Anglais, nos "éternels ennemis" alors "Malbrouk s'en va en guerre...miron-ton-miron-ton...mirontaine.... mais ne reviendra pas...." et donc contre ce général anglais). Et puis tout au bout du village la ferme avec ses différents bâtiments entourés de prés avec basse-cour, moutons... On était sous le charme de ces lieux, où planait la présence de cette reine, un peu trop injustement décriée, accusée des pires infamies par le Tribunal révolutionnaire. En tout cas elle put profiter de son domaine, moins de six années seulement. La Révolution bouleversa tout, les intérieurs luxueux ont disparu, le hameau fut abandonné. Les travaux de réhabilitation n'ont été entrepris qu'en 2006, avec la volonté de recréer le cadre de la fin du XVIIIe siècle. Comme partout à Versailles c'est la recherche de l'authentique.
Il fallait ensuite nous rendre au Grand Trianon, lieu de l'exposition. Celui-ci fut voulu par Louis XIV pour s'isoler de la Cour, et vivre à l'écart sa liaison avec Madame de Montespan. Après le "Trianon de porcelaine", ses faïences bleues et blanches, ce fut le Grand Trianon de marbre. Le nom Trianon est celui du village détruit à cet emplacement.
Nous avons visité l'exposition au pas de charge! mais nous avons tout vu et apprécié. En 1717, fin avril, le tsar Pierre Ier arrive en France pour la première fois, quatre mois après son départ de Saint-Pétersbourg; passant par l'Allemagne, les Provinces Unies (Pays-Bas actuels), à la recherche d'alliances contre les Suédois qui occupent encore des territoires importants le long de la Baltique dans le nord de l'Allemagne; il rencontre le roi de Prusse, électeur de Brandebourg, le roi du Danemark; le tsar cherche des alliés, des troupes russes cantonnent en Allemagne; mais rien n'aboutit car on privilégie les accords commerciaux avec la Suède, et le roi d'Angleterre prince-électeur du Hanovre s'oppose à toute action. Pierre fait une cure en Allemagne, prenant les eaux pour se soigner, il y rencontre Leibniz et Leblond. Il lui reste l'espoir de convaincre la France où gouverne le Régent Philippe d'Orléans, pendant la minorité du roi Louis XV 7 ans. Il va visiter les grands châteaux royaux en Île de France: il vient deux fois à Versailles, c'est aussi Marly, St Germain, Fontainebleau; chasses, fêtes sont organisées pour lui. Mais il supporte mal le protocole. Souvent il préfère parcourir les rues de Paris, se mêler au peuple; visitant l’Hôpital des Invalides il partage la soupe avec un soldat pensionnaire qu'il appelle camarade. Surtout il en profite pour faire ses achats dans des boutiques spécialisées pour l'optique, les instruments d'astronomie, d'arpentage, de chirurgie... Il s'intéresse avant tout aux techniques dans les manufactures, en particulier les Gobelins, pour les tapisseries. Il assiste à une séance de l'Académie française, côtoie les savants de l'Académie des Sciences... Beaucoup de documents pour en témoigner, nous avons eu sous nos yeux ces objets authentiques acquis par le tsar, ou en sa possession comme sa pharmacie de campagne, sa cassette personnelle. Le tsar rencontre les artistes qui vont réaliser bustes, portraits comme celui en armure par le peintre Nattier. Ainsi le voyage de Pierre Ier a inauguré pour deux siècles la présence de la culture française en Russie, en invitant les concepteurs à venir travailler pour lui dans la Nouvelle Russie.
Une phrase présentée dans l'exposition, au dessus de gravures et tableaux de la nouvelle capitale, me paraît résumer parfaitement l'oeuvre de Pierre:
"C'est là que le tsar érigea le symbole de sa volonté impériale, sur la terre molle et marécageuse, c'est là que la vieille Russie s'écroula." Stefan Zweig "Voyage en Russie"
Jean Berg.
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